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La Tentation de Saint Antoine

La Tentation de Saint Antoine Pieter Huys

Huile sur toile

1547

Musée du Louvre

© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot

Cette scène agitée représente le cauchemar que fait le moine Antoine, assis, impassible, en bas à droite. 
Toutes ces créatures fantastiques, mi-hommes mi bêtes, sont issues de son imagination pour l’effrayer et le distraire de ses prières.

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Issu d’une famille d’agriculteurs chrétiens d’Égypte, saint Antoine décida, devenu orphelin, de donner tous ses biens pour consacrer sa vie à la prière ; or il dut lutter dans son ermitage contre les tentations du Diable.  


Déjà brillamment illustré par son prédécesseur Jérôme Bosch (vers 1450-1516), le thème de saint Antoine, consacré par La Légende dorée de Jacques de Voragine (vers 1230-1298), inspira au peintre Pieter Huys plusieurs versions, prétextes à la création d’un monde fantastique peuplé de créatures monstrueuses, souvent grotesques et obscènes.  

Dans cette version, l'ermite (l’anachorète) figure sur le côté droit, accoudé à la souche d’un arbre, identifiable au tau (T)– symbole de la béquille et par suite des soins donnés aux infirmes – brodé sur son manteau et au cochon avec une clochette à l’oreille qui l’accompagne, à ses pieds – animal emblématique de l’ordre des Antonins qui l’élevait pour ses établissements charitables.

Un monstre ailé aux membres crochus tente de distraire saint Antoine de sa lecture, tandis qu’une sorcière s’approche de lui, avec une sirène aux allures de courtisane. Derrière elles, de multiples êtres aux corps hybrides et difformes. Le danger semble néanmoins davantage venir de l’arrière-plan que des visions oniriques du moine. Le calme de l’ermite, qui tourne le dos à la ville en feu, suggère un message de paix, à l’encontre de l’agitation urbaine dont l’œuvre fait une allégorie de la folie humaine.

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Texte en lien avec la thématique :


« C'est dans la Thébaïde, au haut d'une montagne, sur une plate-forme arrondie en demi-lune, et qu'enferment de grosses pierres.
La cabane de l'Ermite occupe le fond. Elle est faite de boue et de roseaux, à toit plat, sans porte. On distingue dans l'intérieur une
cruche avec un pain noir ; au milieu, sur une stèle de bois, un gros livre ; par terre, çà et là, des filaments de sparterie, deux ou trois
nattes, une corbeille, un couteau. »

 

« Alors les deux ombres dessinées derrière lui par les bras de la croix se projettent en avant. Elles font comme deux grandes cornes ;

Antoine s’écrie :
Au secours, mon Dieu !
L’ombre est revenue à sa place.
Ah !… c’était une illusion ! pas autre chose !-Il est inutile que je me tourmente l’esprit ! Je n’ai rien à faire !… absolument rien à faire !


Il s’assoit, et se croise les bras.
Cependant… j’avais cru sentir l’approche… Mais pourquoi viendrait-Il ? D’ailleurs, est-ce que je ne connais pas ses artifices ?
J’ai repoussé le monstrueux anachorète qui m’offrait, en riant, des petits pains chauds, le centaure qui tâchait de me prendre sur

sa croupe, — et cet enfant noir apparu au milieu des sables, qui était très beau, et qui m’a dit s’appeler l’esprit de fornication. »

 

« Il entre-ferme les yeux, avec langueur.
Ah ! de la chair rouge… une grappe de raisin qu’on mord !… du lait caillé qui tremble sur un plat !…
Mais qu’ai-je donc !… Qu’ai-je donc !… Je sens mon cœur grossir comme la mer, quand elle se gonfle avant l’orage. Une mollesse infinie

m’accable, et l’air chaud me semble rouler le parfum d’une chevelure. Aucune femme n’est venue, cependant ?…
Il se tourne vers le petit chemin entre les roches.

C’est par là qu’elles arrivent, balancées dans leurs litières aux bras noirs des eunuques. Elles descendent, et joignant leurs mains chargées

d’anneaux, elles s’agenouillent. Elles me racontent leurs inquiétudes. Le besoin d’une volupté surhumaine les torture ; elles voudraient

mourir, elles ont vu dans leurs songes des Dieux qui les appelaient ; — et le bas de leur robe tombe sur mes pieds. Je les repousse.

 

« Oh ! non, disent-elles, pas encore ! Que dois-je faire ! » Toutes les pénitences leur seraient bonnes. Elles demandent les plus rudes,

à partager la mienne, à vivre avec moi. »
« Le vent qui passe dans les intervalles des roches fait des modulations ; et dans leurs sonorités confuses, il distingue DES VOIX

comme si l’air parlait. Elles sont basses, et insinuantes, sifflantes.


LA PREMIÈRE
Veux-tu des femmes ?

 

LA SECONDE
De grands tas d’argent, plutôt !

 

LA TROISIÈME
Une épée qui reluit ?

 

et LES AUTRES
— Le Peuple entier t’admire !
— Endors-toi !
— Tu les égorgeras, va, tu les égorgeras !


En même temps, les objets se transforment. Au bord de la falaise, le vieux palmier, avec sa touffe de feuilles jaunes, devient le torse

d’une femme penchée sur l’abîme, et dont les grands cheveux se balançant. Antoine se tourne vers sa cabane ; et l’escabeau soutenant

le gros livre, avec ses pages chargées de lettres noires, lui semble un arbuste tout couvert d’hirondelles. »

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Extrait de la Tentation de Saint Antoine de Gustave Flaubert, chapitre 1

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